Capitalisme, sieste & vélo

par BAM | Agitateur de mobilité | Janvier 2024

Sous ce titre un peu provocateur (je l’avoue), il n’y a que l’envie de réfléchir à haute voix sur le vélo, l’industrie qui l’accompagne et, surtout, où il va (où nous nous dirigeons). Réflexion clairement personnelle (et un peu taquine, il faut admettre), dans laquelle, comme dans toute réflexion, sûrement, un infini panel de facteurs n’a pas été pris en compte mais qui naît d’une maxime encore plus provocante que le titre : le vélo n’est pas rentable.

Mais laissons cette maxime pour plus tard et commençons par la sieste (il est toujours préférable de commencer une réflexion par une bonne sieste).

Depuis mon enfance, cela m’a toujours amusé de penser que la sieste était l’action la plus antisystème qu’un travailleur ou une travailleuse puisse entreprendre face à une société performante. Pendant quelques minutes (beaucoup ou peu, cela dépendra de l’antisystème que nous sommes), on ferme les yeux, on s’arrête, on sort du système productif, on s’en prend à lui-même, on oublie son travail, ses obligations, on se repose. En outre, dans toutes ses versions, que ce soit sur un canapé, sur le lit ou à l’ombre d’un arbre, (scoop !) c’est gratuit ! Antisystème, pas plus.

Peu à peu, la sieste s’est répandue, comme une épidémie, dans le système productif. Au point que le même système, avant d’abdiquer et d’accepter sa défaite, a décidé de s’approprier cet élément subversif.

Pendant longtemps, les adorateurs de la sieste ont (nous avons) été traités de paresseux, de voyous. C’était un acte réservé à des gens avec peu de capacité intellectuelle, quelque chose d’amusant à faire pendant les étés. Mais, ah, la vie ! Celui ou celle qui la goûte, adopte la sieste. Presque, comme une forme de vie.

Ainsi, peu à peu, la sieste s’est répandue, comme une épidémie, dans le système productif. Au point que le même système, avant d’abdiquer et d’accepter sa défaite, a décidé de s’approprier cet élément subversif. Et d’un jour à l’autre (ici j’exagère, je l’admets) cela a cessé d’être une chose de fainéants et c’est devenu "cool".

On nous disait qu’au Japon (je n’ai jamais su si c’est vrai) ils avaient intégré la sieste dans les entreprises, on parlait même de la sieste à la japonaise ("inemuri" en japonais), qui n’est en fait que s’endormir sur votre poste de travail. Mais depuis la sieste était « cool » et surtout productive . On a commencé à théoriser sur les effets bénéfiques de la sieste. De nouveaux concepts ont été créés tels que la nano-sieste (10 à 20 secondes), la micro-sieste (2 à 5 min), la mini-sieste (5 à 20 min), la sieste énergétique (20 min), la sieste du paresseux (40 à 90 min) (elle, j’adore).

On nous disait que les entreprises les plus innovantes de la Silicon Valley avaient installé des salles de sieste pour leurs employés. De nombreux produits « facilitant » la sieste (oreillers ergonomiques, masques amusants, etc.) ont commencé à apparaître. Le capital sympathie de la sieste était au plus haut. Jusqu’à ce que le système ait si bien assimilé la sieste, qu’il a cessé d’en parler.

Mais, qu’est-ce que cela a à voir avec le vélo et l’industrie qui l’accompagne ? Revenons au début : le vélo n’est pas rentable.

Pour être honnête, ce n’est même pas moi qui ai osé dire une telle chose (je me libère de ma culpabilité). C’est simplement une affirmation que j’ai écoutée à plusieurs reprises au cours de mes différents échanges et réunions de travail avec des professionnels de divers horizons ces dernier temps. Chaque fois utilisée pour ses propres raisons dans des contextes spécifiques.
Personne ne cache que derrière le boom du vélo existe une réalité économique beaucoup plus complexe. Créer une économie autour du vélo n’est pas facile (pas facile, ne veut pas dire impossible). Prenons un exemple : le réparateur du coin et son dilemme quotidien, comment expliquer à un client que la réparation de son vélo coûte plus cher que le coût du vélo lui-même ?

Et si le vélo vivait le même processus que celui de la sieste ? Ces dernières années, comme cela s’est passé pour la sieste, le vélo a gagné des espaces.

Un autre exemple ? Comment une nouvelle marque de vélo fabriquée localement peut-elle être compétitive face à des concurrents qui importent des vélos venus de pays lointains ? (je ne dis pas d’où pour ne pas créer un conflit international). Ou ne parlons pas des produits et services (assurances, applications, produits tech variés, etc.) qui ont émergé ces dernières années mais dont peu ont réussi à se maintenir. Nous ne pouvons pas non plus oublier que la chute/stagnation des ventes de vélos VAE est une réalité qui alerte le secteur.

Mais, face à cette non rentabilité du vélo (pas aussi apocalyptique que je viens de le dessiner), le vélo est à l’un de ses moments les plus hauts en termes de popularité et d’acceptabilité . Et (c’est là que tous les maillons de ma réflexion se rejoignent) : et si le vélo vivait le même processus que celui de la sieste ?

Je suis incapable de répondre à cette question. Ce qui est certain, c’est que l’une des qualités du système capitaliste est qu’il s’adapte. Il sait s’adapter aux nouvelles tendances et aux demandes des consommateurs. Parfois, il résiste un peu jusqu’à ce qu’il voie, s’adapte ou encore perde le contrôle. Le système capitaliste cherche la rentabilité, mais quand il n’y en a pas (ou pas facilement), une façon de s’adapter est de vendre l’image. Image du bien-être pour le travailleur avec la sieste. L’image « écologique » avec le vélo ? Peut-être. Ces dernières années, comme cela s’est passé pour la sieste, le vélo a gagné des espaces. Le vélo bénéficie également d’un grand capital sympathie. D’une certaine manière, il a été pris comme l’image, comme l’instrument du changement, vers une transition énergétique/écologique. Le vélo est devenu « cool » pour le système.

Tout ce qui permet de gagner des espaces est bon pour la consolidation du vélo, même si parfois nous rencontrons des dérives étonnantes (récemment, j’ai vu une publicité à la télévision qui pour vendre une voiture utilisait un vélo). Dans quelle mesure le vélo s’est-il installé dans l’imaginaire de la société, devenant ainsi un élément de notre quotidien, ou n’est-ce qu’une tendance ? (N’oublions pas que le « cool » un jour, cesse d’être « cool »).

Personnellement, je suis convaincu que le vélo est là pour rester. Il a encore un potentiel de développement large, tant économique que social . Et oui, je crois qu’il s’installe peu à peu dans le commun de notre société. Il se normalise. Mais je ne ferme pas non plus les yeux devant des fissures ouvertes qui, d’une certaine manière, m’inquiètent (ou du moins me font réfléchir). Toutes les batailles ne sont pas gagnées et nous devons continuer à travailler. La rentabilité du vélo en fait-elle partie ? Peut-être que oui, bien que j’aime parfois penser que l’indicateur de rentabilité n’est pas le plus important et que je préfère me fier à la capacité de transformation que le vélo a eu et a dans notre société .

Le vélo, un élément subversif ? Oui, comme la sieste.

Ismael Canoyra Ubeda, Co-fondateur de BAM - Agitateur de mobilité


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