Penser la mobilité à travers une perspective de genre

par BAM, Agitateur de mobilité | Mars 2023


Après la présentation de notre Manifeste pour une mobilité responsable(1) en septembre dernier, plusieurs personnes nous ont interrogés sur le fait d’avoir introduit la perspective de genre comme l’un des critères fondamentaux pour agir pour une mobilité responsable. Plus que par opposition, les questions portaient surtout sur la méconnaissance du concept de "perspective de genre" et son adaptation à la mobilité.

Questionnements, souvent accompagnés d’une réaction illustrative « la mobilité a-t-elle un genre ? »… laissons pour l’instant cette question sans réponse et essayons de comprendre ce qu’est la perspective de genre dans la mobilité.

La perspective de genre dans la mobilité


À quoi faisons-nous référence en réfléchissant à la mobilité avec une perspective de genre ? Est-il question de créer une mobilité uniquement pour les femmes, et donc, en opposition aux hommes ? Non. Il s’agit de penser la mobilité dans tous ses détails, sans négliger une partie de sa complexité et en assumant sa grande diversité.

La perspective de genre est un outil méthodologique et analytique qui permet d’identifier, de repenser et d’évaluer une situation donnée et l’influence du genre dans les différents domaines de la société tels que l’économie, le travail, le ménage, l’éducation, l’urbanisme, et, bien entendu, la mobilité.

" La perspective de genre cherche à comprendre et à analyser les situations, pour intégrer des éléments habituellement ignorés dans les planifications et faire des propositions adaptées qui luttent contre les inégalités de genre, les violences faites aux femmes [...] la présence encore faible des femmes dans les espaces de décisions ... "

Dans certaines strates de notre société d’aujourd’hui, et non dans toutes, les rôles de genre tendent à s’estomper et les tâches traditionnellement assignées aux femmes cessent d’être leur exclusivité. Mais c’est loin d’être la norme. La perspective de genre cherche donc à comprendre et à analyser les situations, pour intégrer des éléments habituellement ignorés dans les planifications et faire des propositions adaptées qui luttent contre les inégalités de genre, les violences faites aux femmes, la discrimination salariale, le fait qu’il y ait davantage de chômage féminin, la présence encore faible des femmes dans les espaces de décisions et les problèmes de conciliation entre vie personnelle, professionnelle et familiale.

Un exemple de la perspective de genre dans la mobilité ?
Le cas de la ville de Karlskoga, en Suède.


On va un peu loin sur la carte, c’est vrai. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’exemples plus proches en France et même, dans la Région de la Nouvelle-Aquitaine, mais nous avons voulu souligner ce cas qui nous a beaucoup éclairé, par sa simplicité et son efficacité, sur la manière d’appliquer une perspective de genre à la mobilité.

On va raconter une histoire. Dans la ville de Karlskoga, au sud de la Suède, la neige est un facteur prépondérant dans la mobilité des habitants pendant une bonne partie de l’année. La neige et la glace. Les services des urgences sanitaires ont constaté lors de l’analyse des données relatives aux accidents de la route dus à la neige et à la glace, que le nombre de femmes accidentées était trois fois plus élevé que celui des hommes. En appliquant une perspective de genre dans l’analyse des données, ils ont pu constater dès le début cette différence et lancer une analyse plus approfondie pour déterminer les causes de l’origine de ces chiffres.

Les résultats ne se sont pas attendus et ont souligné que la plupart des accidents impliquant des hommes étaient liés à des accidents de véhicules à moteur et que les accidents des femmes étaient liés à des chutes dans la rue.

L’analyse des données a débouché sur une étude des causes et il s’est avéré que l’origine des accidents était liée au déneigement des rues. Ils ont pu constater que la priorité avait été donnée au nettoyage de la rocade et des voies centrales menant à de grands lieux de travail à prédominance masculine, et par la suite, on passait au déneigement des trottoirs, des arrêts de bus et des pistes cyclables qui sont des infrastructures majoritairement empruntés par les femmes.

C’est-à-dire que la municipalité avait donné la priorité au déneigement des hommes, au détriment des femmes et en conséquence, aussi des personnes à charge. Bien sûr, cela n’a pas été fait consciemment. Il a été simplement fait ce qui avait toujours été fait. Il n’a fallu qu’un changement de priorité du déneigement des rues pour réduire considérablement le nombre d’accidents.

L’étape suivante

Dans le domaine de la mobilité, il existe une littérature plurielle sur la prise en compte de la perspective de genre dans la mobilité au niveau international. Les premières études dans ce domaine sont apparues dans les années 1970.

« Beaucoup de modèles de planification sont basés sur l’idée de placer l’usager au centre de la mobilité. L’usager y est considéré comme un « neutre universel » [...] qui sans beaucoup de décorum, arbore les caractéristiques des modèles de mobilité masculine. »

C’est une tendance qui gagne peu à peu du terrain en tant que tendance, mais qui a du mal à s’appliquer. Pourquoi ? Il y a plusieurs facteurs qui peuvent répondre à cette question, mais ici nous voudrions en souligner trois :

Le manque de données spécifiques et actualisées, permettant une analyse pertinente. Peu de données sont disponibles sur la mobilité selon le sexe et reflètent la complexité et la diversité de la mobilité du quotidien. À titre d’exemple, on peut noter que les données sur les déplacements courts concernant la sphère domestique sont peu nombreuses, voire inexistantes (concernant les achats, les soins au foyer, les soins aux personnes à charge) qui se font à pied et sont réalisés traditionnellement et majoritairement par des femmes.

Ces déplacements sont peu analysés ou ne sont pas pris en compte dans les enquêtes. Il faut renforcer les enquêtes de la mobilité qui, outre l’étude de la partie modale des modes de déplacement, intègrent des indicateurs socio-économiques et la ségrégation par sexe des données recueillies.

La planification de la mobilité. Beaucoup de modèles de planification sont basés sur l’idée de placer l’usager au centre de la mobilité. Bien. Le problème est que pour faire ces planifications, l’usager est considéré comme un « neutre universel » et, oh surprise !, ce « neutre universel » arbore, sans beaucoup de décorum, les caractéristiques des modèles de mobilité masculine. C’est-à-dire, des modèles de mobilité basés notamment sur les déplacements professionnels, qui privilégient les déplacements linéaires et pendulaires, de longue distance et qui se font majoritairement en véhicule motorisé privé.

Des études montrent que les modèles de mobilité des femmes sont moins uniformes, fondés sur l’enchaînement de trajets liés à la multi-activité (conciliation vie professionnelle - vie familiale), avec des déplacements plus courts et une plus grande utilisation des transports publics. Les modèles de mobilité des femmes sont donc plus complexes et avec une majeure diversité.

La faible présence des femmes dans les espaces de décision et de planification. La mobilité, comme dans les autres secteurs de la société, nécessite une plus grande présence des femmes aux postes de décision et de planification, mais aussi l’intégration de groupes consultatifs composés de femmes pouvant apporter leur expérience de vie. La perspective de genre n’est pas propre aux femmes et il serait intéressant de voir dans ces groupes une certaine mixité, à condition qu’ils soient des espaces d’expression sûrs.

Et BAM dans tout ça ?


Comme nous l’avons souligné au début de cet article, nous considérons qu’il est indispensable de penser la mobilité avec une perspective de genre. Nous savons bien que ce n’est pas un sujet simple à aborder et qui exige un changement de paradigme important. Mais l’ambition de BAM est de travailler dans ce sens, en créant, en collaborant et/ou en mettant en œuvre des projets et des expérimentations qui contribuent à un meilleur développement, et qui tiennent compte la perspective de genre dans la mobilité de notre région.

Dans des prochains articles, nous aborderons d’autres points qui impliquent une perspective de genre dans la mobilité. De nombreux sujets que nous n’avons pas pu aborder ici mais que nous aborderons peu à peu, tels que les modèles de comportement des utilisateurs, les modes de déplacement tenant compte du genre ou les schémas différentiels de mobilité entre hommes et femmes, entre autres.

Nous ne voulons pas terminer cet article sans saluer une initiative de la nouvelle association « Les femmes à vélo » (2), qui vient de présenter son manifeste le 8 mars dernier, lors du Congrès de la FUB (Fédération des Usager.e.s de la Bicyclette) à Rennes. Vous pouvez dores et déjà signer et soutenir (3) le mouvement.


  1. Manifeste pour une mobilité responsable en région Nouvelle-Aquitaine par BAM - Agitateur de mobilité
  2. https://www.lesfemmesavelo.com/
  3. Soutenir et signer le manifeste des Femmes à vélo: https://www.change.org/p/manifeste-des-femmes-a-v%C3%A9lo

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