Transformer la mobilité, transformer la ville

Article rédigé par BAM pour le "Cahier de tendances" de la Fondation Jean Jaurès paru en Avril 2022

La ville de Bordeaux est réputée pour son cadre de vie. Cette particularité est confortée par différents sondages qui classent régulièrement la cité parmi les plus prisées de France. La qualité de vie à la bordelaise est devenue une vertu intrinsèque à laquelle l’aménagement urbain, réalisé pour le confort et le plaisir de ses habitants, n’est pas étranger.

Pour garantir ce cadre de vie, la tendance est à l’apaisement. Ainsi, on cherche à apaiser la ville et ses quartiers, à les rendre plus sereins, plus respirables, moins bruyants et moins dangereux. En repensant leurs fonctions et les manières d’y vivre, on tient à y maintenir l’activité tout en y insufflant de la vitalité.
Cela se concrétise notamment par l’aménagement de grandes places, de cheminements sans motorisation faisant la part belle à la déambulation des piétons et des vélos, par la création de pistes cyclables et par la végétalisation. On redistribue également la circulation pour éviter le trafic de transit, on crée des places d’autopartage, on réorganise ou on ressuscite les systèmes de transport en commun. Pour ce faire, on récupère l’espace public là où il a été concédé, en particulier sur les places de stationnement de surface. Cette tendance se prolonge à présent loin des quais réaménagés et du centre-ville piéton de Bordeaux, mais aussi vers les cours, les boulevards, les centres-villes de tous les quartiers bordelais et certaines communes alentour.

La transformation de la ville par la mobilité citoyenne

Si cette tendance à l’apaisement existe, c’est que les citoyens ont évolué et qu’ils formulent sa concrétisation.

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Faire partie d’une métropole qui attire, c’est la partager avec davantage de nouvelles personnes et donc absorber plus de déplacements dans un même espace. Par conséquent, s’adapter pour s’y déplacer, [...] est essentiel.

C’est d’abord parce que les citoyens aspirent à maintenir cette dimension de plaisir et de confort quotidien, leur « cadre de vie bordelais », qu’ils cherchent à se déplacer autrement. Car faire partie d’une métropole qui attire, c’est la partager avec davantage de nouvelles personnes et donc absorber plus de déplacements dans un même espace. Par conséquent, s’adapter pour s’y déplacer, tout en garantissant cette fameuse qualité de vie, est essentiel. Ainsi, ils adoptent la marche, le vélo sous ses multiples formes (utilitaire, électrique ou non), les véhicules partagés, les transports en commun, le tramway, afin de rationaliser leurs déplacements, puis se dépossèdent progressivement de leur voiture personnelle. Dans un même temps, pour faire de la place à tous ces modes de transport, une prise de conscience s’est effectuée.
Celle de la nécessaire réappropriation d’un espace public commun, mieux partagé, humanisé et respirable. En somme, un espace public qui doit répondre à son époque, à ses impératifs environnementaux avec les habitants en son centre. Parfois, à la marge, mais en visionnaires, les citoyens réinventent leurs mobilités dans la ville et influencent ses choix.

L’amorce de ce qui se joue aujourd’hui s’est déclenchée au cours des années 1980, lesquelles ont vu naître les premiers mouvements de cyclistes urbains avec Vélo-Cité. Puis dans les années 2000, des habitants, en mutualisant des voitures, ont accompagné la naissance de la coopérative d’autopartage Citiz. D’autres regroupements citoyens se sont agrégés pour se combiner autour de la marche, du tramway, du train de proximité. À présent, à l’image de l’entrepreneuriat à vélo, ce sont les entités économiques qui leur embrayent le pas. Tout comme le tramway a métamorphosé Bordeaux dans les années 2000, ce sont aujourd’hui les piétons et les cyclistes qui redimensionnent et façonnent les espaces urbains. La ville, en s’alignant sur ces mouvements, enjoint les professionnels à revoir leurs pratiques pour opérer sa transformation. Cette conversion et cette acculturation ne se font pas sans conflits ni sans bévues. Pour autant, repenser la mobilité, la diversifier et l’organiser sont des actions capitales pour répondre aux aspirations des habitants et rendre la ville résiliente.


La multimodalité, clé de transition des villes apaisées

Ainsi, le mode de vie des habitants se modifie substantiellement. Se saisissant de l’équation qui débouche sur l’apaisement et en commençant par eux-mêmes, ils adoptent la combinaison de plusieurs modes de déplacement, moins consommateurs d’espace, de ressources et de bruit.

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L’individu [...] développe une souplesse et une adaptation à différents types de transport, ce qui lui permet d’arbitrer son mode de déplacement en fonction de son activité.

Les citoyens se transforment. L’individu devient multimodal. Il développe une souplesse et une adaptation à différents types de transport, ce qui lui permet d’arbitrer son mode de déplacement en fonction de son activité. Par cette approche multimodale, il permute en fonction de ses besoins et transforme la mobilité tout en limitant son impact. L’aspiration à un mode de déplacement multimodal et durable peut devenir sociétal. Puisque les citoyens sont à l’origine de cette demande, il est alors indispensable de les capter et de les mettre en relation avec des « faiseurs », que sont les entreprises, les protagonistes de l’économie sociale et solidaire (ESS), les collectivités.
Des espaces de rencontre et de coopération sont alors à créer afin d’accélérer ce mouvement.

C’est précisément ce que nous défendons. Mais Bordeaux ne vit pas au sein de ses frontières. Si l’avenir de la mobilité durable est de partager plus et d’encombrer moins, le dialogue devra aussi s’opérer avec les communes voisines métropolitaines et extra-métropolitaines pour trouver des solutions partagées de transport et d’intermodalité. La transition implique un état intermédiaire qui se traduit par la coexistence avec d’anciennes pratiques de la mobilité, d’anciens réflexes qui peuvent être conflictuels. La généralisation peut prendre du temps si elle n’est pas catalysée. C’est également aux médias, élus, entreprises, etc., de prendre leur part de responsabilité tant dans leurs ambitions qu’en relayant les solutions sans créer d’opposition entre les modes. En valorisant cette multimodalité, en l’incarnant et en permettant de l’éprouver, il sera possible de changer les comportements et de faire adhérer la société. Transformer les usages, c’est donner à voir pour donner envie.


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